Droit de la famille

LA PRESTATION COMPENSATOIRE DOIT-ELLE TENIR COMPTE DES DROITS PREVISIBLES A LA RETRAITE ? Cass. Civ, 1, 5 mars 2025, n° 22-24-122

Aux termes de l’article 271 du Code civil, la prestation compensatoire est fixée en prenant en compte, entre autres, la situation respective des époux en matière de pension de retraite.

La jurisprudence a toujours confirmé de manière constante que les droits à la retraite constituent un critère déterminant pour l’octroi et le calcul de la prestation compensatoire.

C’est le sens d’un arrêt récent du 5 mars 2025, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation.

 

En l’espèce, la Cour d’appel de Chambéry avait refusé d’octroyer une prestation compensatoire à l’épouse, en estimant que les conditions de vie respectives des époux étaient semblables à la date à laquelle elle devait se prononcer.

Qu’ainsi, il n’existait pas, à l’instant T, de disparité créée par la rupture du mariage.

 

Pour aboutir au rejet des demandes de l’épouse, la Cour d’appel a considéré qu’une appréciation en deux temps devait être effectuée :

 

-          Elle se devait d’abord d’apprécier s’il existe ou non une disparité entre les situations des époux au jour où elle statue ;

-          Dans l’affirmative, elle procédait ensuite à une analyse des critères de l’article 271 du Code civil pour fixer le montant de la prestation compensatoire.

 

Elle distingue ainsi le moment de l’appréciation de la disparité entre les époux du stade de la fixation du montant de la prestation compensatoire.

 

Cette position, qui a vocation à faire prévaloir certains critères d’appréciation de l’article 271 du Code civil au détriment des autres, a été rejetée explicitement par la Cour de cassation.

 

Dans son arrêt du 5 mars 2025, la première chambre civile rappelle que les droits prévisibles à la retraite des époux doivent être pris en compte pour déterminer l’ouverture ou non d’un droit à prestation compensatoire.

 

Il ne s’agit nullement d’une appréciation qui doit intervenir secondairement. L’ensemble des critères d’appréciation listés à l’article 271 du Code civil doivent être pris en compte pour déterminer l’existence ou non d’une disparité entre les époux :

 

-          La durée du mariage ;

-          L’âge et l’état de santé des époux ;

-          Les qualifications et situation professionnelle ;

-          Le patrimoine estimé ou prévisible ;

-          Les droits existants ou prévisibles et la retraite.

 

Chaque critère doit ainsi être analysé de façon exhaustive.

 

Cet arrêt n’est pas surprenant, il vient confirmer une jurisprudence constante selon laquelle le montant de la pension de retraite prévisible de chacun des époux est un élément déterminant que le juge aux affaires familiales doit prendre en compte (en ce sens, Cass. Civ. 1, 10 septembre 2015, n° 13-15.456).

 

Il est donc absolument primordial, lorsque l’un des époux a consenti des sacrifices professionnels qui impacteront ses droits à la retraite, de produire une estimation de ces droits pour prouver l’existence d’une disparité et appuyer une demande de prestation compensatoire.

 

Auteur : Roxane VEYRE

Droit de la famille

ADOPTION PLENIERE DE L’ENFANT DU CONJOINT : OPPOSITION DE LA MERE BIOLOGIQUE EN DEHORS DU DELAI LEGAL Cass. Civ, 1, 26 mars 2025, n° 22-22.507

L’adoption plénière de l’enfant du conjoint, prévue par l’article 370-1-3 du Code civil [1], n’est possible que si l’enfant n’a de filiation établie qu’à l’égard de ce conjoint et qu’à condition qu’il y ait consenti. Le délai légal de rétractation de ce consentement est de deux mois aux termes de l’article 348-5 du même code.

Qu’en est-il lorsque la rétractation de ce consentement intervient postérieurement à l’expiration de ce délai bimensuel ?

 

En l’espèce, un couple de femmes se marie en septembre 2016. L’une d’elle donne naissance à un enfant en décembre de la même année.

Dans le courant de l’année 2019, les formalités nécessaires à la procédure d’adoption sont engagées. Le consentement de la mère biologique était recueilli par acte notarié le 3 juin 2019.

L’adoptante sollicitait ainsi le prononcé de l’adoption de l’enfant de son épouse le 3 septembre 2019.

Il semblerait qu’un désaccord soit intervenu au cours de l’été 2019, puisque la mère biologique s’est par la suite opposée à la demande d’adoption formulée par son épouse.

 

L’adoption a néanmoins été prononcée par le juge de première instance et confirmée en cause d’appel.

 

La mère biologique s’est alors pourvue en cassation, estimant que son opposition à l’adoption équivaut à une demande de restitution de l’enfant devant être accueillie de plein droit, même postérieurement au délai de rétractation, et sans que soit pris en compte l’intérêt de l’enfant.

 

La première chambre civile de la Cour de cassation adoptera une position claire et attendue en rejetant le pourvoi.

 

Dans un premier temps la Cour rappelle les bases légales applicables au cas d’espèce en précisant que les dispositions de l’article 348-3 du Code civil, relatives à la demande de restitution de l’enfant, ne trouvent pas à s’y appliquer.

En effet, la possibilité donnée aux parents de saisir le juge postérieurement au délai de deux mois pour demander la restitution d’un enfant suppose que l’enfant ait été confié à un tiers. En l’espèce, la première chambre civile distingue les deux situations et rappelle ainsi que le conjoint adoptant n’est pas un tiers comme les autres.

 

Dans un second temps, la Cour précise que « l’opposition du conjoint ne lie pas le juge » et que celui-ci doit se borner à vérifier que les conditions légales de l’adoption sont remplies et que cette dernière est conforme à l’intérêt de l’enfant.

Aussi, le juge du fond conserve toujours un pouvoir d’appréciation souverain, à la lumière de l’intérêt supérieur de l’enfant. Mais, classiquement, la seule mésentente conjugale n’est pas vouée à faire échec à une demande d’adoption.

 

Bien que confirmant sa position antérieure[2], la Cour de cassation vient ici rappeler en filigrane qu’un engagement parental doit être respecté au-delà des difficultés qu’un couple peut rencontrer.



[1] Dans sa rédaction antérieure applicable au cas d’espèce : article 345-1 du Code civil

[2] Cass, Civ.1, 12 juillet 2023, n° 21-23.242

 

Auteur : Roxane VEYRE

Droit de la famille

Le Décret n° 2025-47 du 15 janvier 2025 : Les précisions apportées quant au renforcement de l’ordonnance de protection et la création de l’OPPI

Créée par la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010, l’ordonnance de protection est un outil majeur à la disposition des Juges aux affaires familiales pour lutter efficacement contre les violences intrafamiliales et protéger les victimes.

La loi n° 2024-536 du 13 juin 2024 vient renforcer le dispositif de l’ordonnance de protection et créer une ordonnance de protection provisoire, toujours dans une volonté accrue de protection des victimes, très majoritairement de sexe féminin.

Cette loi a fait l’objet d’un décret d’application n° 2025-47 en date du 15 janvier 2025, qui vient concrétiser le renforcement de l’ordonnance de protection dite « classique » et surtout préciser la procédure relative à l’ordonnance de protection provisoire immédiate (ci-après « OPPI »).

 

1.       Le renforcement de l’ordonnance de protection

 

Le texte de la loi du 13 juin 2024 venait renforcer le mécanisme de l’ordonnance de protection sur 4 points : 

 

-          En portant de 6 à 12 mois la durée de l’ordonnance de protection ;

-          En rappelant qu’une ordonnance de protection peut être délivrée même en l’absence de cohabitation du couple ;

-          En masquant l’adresse de la victime sur les listes électorales (jusqu’alors accessible à toute personne demandant ces listes) ;

-          En accordant à la victime la garde des animaux de compagnie du foyer ; les animaux pouvant être un moyen de pression et de chantage.

 

Il convient également de préciser que la sanction répressive pour non-respect des obligations ou interdictions imposées par le juge dans sa décision est renforcée. La personne risque désormais 3 ans d’emprisonnement, contre 2 auparavant, et 45.000 € d’amende.

 

En outre, l’ordonnance devra désormais préciser que la personne en danger a la possibilité d’obtenir la reconnaissance transfrontalière de la décision (en application du règlement UE n° 606/2013).

 

 

2.       Les précisions sur la procédure de l’OPPI.

 

Il est important de souligner que l’initiative de l’OPPI appartient uniquement au Procureur de la république. La victime n’a pas la possibilité de la demander directement. Cette impossibilité est regrettable dès lors qu’elle est mise en perspective avec la faible part de saisines émanant du ministère public (seulement 2%).

 

Le Juge ne peut être saisi qu’après accord de la personne en danger.

 

Il est saisi par voie de requête. Si le Procureur de la république est également à l’initiative de la requête en ordonnance de protection, deux requêtes distinctes doivent être faites.

 

Le régime procédural de l’OPPI diffère de celui de l’ordonnance de protection : alors que la seconde est soumise à un régime contradictoire, la première ne l’est pas.

A compter de sa saisine, le Juge aux affaires familiale doit rendre sa décision dans un délai de 24h. Ce délai très court explique l’absence de contradictoire et d’audience.

 

Un même juge peut statuer successivement sur l’OPPI et sur l’ordonnance de protection. Il faudra toutefois veiller à son impartialité.

 

Si le Juge refuse de faire droit à l’OPPI, la décision est notifiée au Ministère public ainsi qu’à la personne concernée. S’il y fait droit, elle est également notifiée à la personne à laquelle elle est opposée, par le biais des forces de sécurité intérieure.

 

Concernant les voies de recours :

 

-        Si l’OPPI est refusée : la décision est insusceptible de recours ;

-       Si l’OPPI est délivrée : seule la personne contre laquelle l’OPPI est délivrée dispose d’une voie de recours, par le biais d’une assignation en référé-rétractation de droit commun délivrée au bénéficiaire de l’OPPI.

Aucun délai n’est imposé à la juridiction saisie du recours. Elle peut examiner la demande avant ou concomitamment à l’examen de la demande d’ordonnance de protection.

 

Pour conclure, le décret d’application n° 2025-47 en date du 15 janvier 2025 précise les modalités de mise en œuvre de l’OPPI, qui sont claires dans leur principe.

Néanmoins, le fait que celle-ci soit à l’unique initiative du Ministère public laisse augurer une utilisation très marginale de cet outil. Il est regrettable que la victime n’ait aucune possibilité d’action, dans des situations d’urgence extrême la mettant directement en danger.

 

Auteur : Roxane VEYRE

Droit de la famille

LA QUESTION DE LA VALIDITE D’UN TESTAMENT REDIGE DANS UNE LANGUE NON COMPRISE PAR LE TESTATEUR.

1.    Les FAITS :

[S] [U], de nationalité italienne, est décédée le 28 février 2015, en laissant pour lui succéder ses quatre enfants, [N], [W], [Z] et [X], ainsi que son petit-fils, Mr [M] [K], venant par représentation de sa mère, prédécédée, et en l’état d’un testament reçu, en français, le 17 avril 2002, par Maître [V], notaire, en présence de deux témoins et avec le concours d’une interprète de langue italienne, et instituant ses trois filles, [N], [W] et [Z], ci-après les consorts [E], légataires de la quotité disponible.

 

2.    La PROCEDURE :

 

Le petit fils a assigné en 2015 ses trois tantes en nullité du testament.

 

Celles-ci ont appelé en intervention forcée le notaire ayant reçu le testament.

 

2.1.   arrêt du 16 juin 2020, la cour d’appel de Grenoble :

 

La COUR avait :

 

— infirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions et validé le testament reçu le 17 avril 2002 par Maître [V] en son étude de la part de [S] [U] comme testament international au visa des dispositions de la convention de Washington en date du 28 octobre 1973 portant loi uniforme.

 

2.2.  arrêt du 2 mars 2022,1ere chambre civile de la cour de cassation.

 

Par arrêt rendu le 2 mars 2022, la première chambre civile de la cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 16 juin 2020 par la cour d’appel de Grenoble.

 

La Haute Cour avait relevé que " s’il résulte des articles 3, §3 et 4 §1 de la loi uniforme sur la forme d’un testament international annexée à la convention de Washington du 26 octobre 1973 qu’un testament international peut être écrit en une langue quelconque afin de faciliter l’expression de la volonté de son auteur, celui-ci ne peut l’être en une langue que le testateur ne comprend pas, même avec l’aide d’un interprète.

Pour valider en tant que testament international le testament du 17 avril 2002, après avoir constaté que [I] [V] ne s’exprimait pas en langue française, l’arrêt retient que, si l’acte ne porte pas mention exacte que le document est le testament de [I] [V] et qu’elle en connaît son contenu, il précise qu’il a été écrit en entier de la main du notaire, tel qu’il lui a été dicté par la testatrice et l’interprète, puis que le notaire l’a lu à ceux-ci, lesquels ont déclaré le bien comprendre et reconnaître qu’il exprime les volontés de la testatrice, le tout en présence simultanée et non interrompue des témoins, ce qui permet de s’assurer que [I] [V] en connaissait le contenu et qu’il portait mention de ses dernières volontés.

En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

 

Le dossier était renvoyé devant la CA de LYON.

 

2.3.  Cour d’appel de LYON arrêt du 21 mars 2023.

 

La Cour d’appel de LYON par arrêt du 21 mars 2023 a validé le testament en tant que testament international au motifs que les formalités prévues par la convention de Washington du 26 octobre 1973 portant loi uniforme sur la forme d’un testament international ont été accomplies.

 

3.    L’ARRET RENDU EN ASSEMBLEE PLENIERE le 17 janvier 2025.

 

La Cour de cassation en Assemblée plénière, le 17 janvier 2025, CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 21 mars 2023 par la Cour d’appel de Lyon ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Chambéry.

 

En son arrêt publié au Bulletin la Haute Cour revient sur les conditions de validité d’un testament international avec recours à l’interprétariat par une motivation d’une clarté remarquable mais qui alimentera certainement les débats en doctrine puisqu’elle admet désormais mais sous certaines conditions le principe de la validité d’un testament international rédigé dans une langue que le testateur ne comprend pas :

 

Une première interprétation tient compte de ce que la loi uniforme, que les États parties ont seule l’obligation d’intégrer à leur droit interne, ne prévoit pas le recours à un interprète.

 

10. C’est celle qu’a retenue la Cour de cassation dans son arrêt précité du 2 mars 2022, qui a jugé que, si un testament international pouvait être écrit en une langue quelconque, afin de faciliter l’expression de la volonté de son auteur, il ne pouvait l’être, même avec l’aide d’un interprète, en une langue que le testateur ne comprenait pas.

 

11. Cette position, approuvée par une partie de la doctrine, s’inscrit dans un courant jurisprudentiel, qui, interprétant les règles formelles à l’aune de leur finalité, en l’occurrence favoriser la liberté du disposant et le respect de ses volontés tout en s’assurant de la réalité de ses intentions, subordonne la validité du testament à la faculté pour le testateur d’en vérifier personnellement le contenu (1re Civ., 9 juin 2021, pourvoi n° 19-21.770, publié ; 1re Civ., 12 octobre 2022, pourvoi n° 21-11.408, publié).

 

12. Une seconde interprétation tire de l’article V.1 de la Convention la possibilité d’avoir recours à un interprète dans les conditions requises par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée a été désignée.

 

13. Elle garantit la sécurité juridique des testaments reçus en la forme internationale, par une personne habilitée par la loi d’un autre État partie, en présence d’un tel interprète, et assure, dans un contexte de mobilité des personnes et d’internationalisation des patrimoines, une application harmonisée des règles du testament international au sein des États ayant ratifié la Convention.

 

14. Il convient désormais de retenir cette seconde interprétation et de juger que la loi uniforme permet qu’un testament soit écrit dans une langue non comprise du testateur dès lors que, dans ce cas, celui-ci est assisté par un interprète répondant aux conditions requises par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée à instrumenter a été désignée.

 

15. Toutefois, aucune disposition de la Convention ni de la loi uniforme ne fait obligation aux États parties d’introduire dans leur législation des dispositions relatives aux conditions d’intervention d’un interprète.

 

16. Ainsi, la loi n° 94-337 du 29 avril 1994, qui désigne comme personne habilitée à instrumenter en matière de testament international, sur le territoire de la République française, les notaires, et, à l’égard des Français à l’étranger, les agents diplomatiques et consulaires français, ne contient pas de telles dispositions.

 

17. Le silence de cette loi doit s’interpréter comme ne permettant pas en lui-même le recours à un interprète.

 

18. En effet, le testament en la forme internationale a de commun avec le testament en la forme authentique que le notaire ou l’agent diplomatique ou consulaire français, habilité à le recevoir, garantit le respect des formalités prescrites. Or, en l’état des textes applicables à l’époque de l’adoption de cette loi, il était jugé que le testament authentique reçu par le truchement d’un interprète était nul (1re Civ., 18 décembre 1956, Bull. I, n° 469 ; 1re Civ., 15 juin 1961, Bull. n° 317).

 

19. Si, depuis lors, en modifiant l’article 972, alinéa 4, du code civil, la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures a assoupli le formalisme du testament authentique pour permettre, lorsque le testateur ne peut s’exprimer en langue française, que la dictée et la lecture du testament puissent être accomplies par un interprète, c’est sous réserve que cet interprète soit choisi par le testateur sur la liste nationale des experts judiciaires dressée par la Cour de cassation ou sur la liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d’appel, de sorte que seul un testament authentique recueilli avec le concours d’un tel expert, postérieurement à l’entrée en vigueur de ce texte, intervenue le 18 février 2015, pourrait, par équivalence des conditions, être déclaré valide en tant que testament international.

 

20. Pour valider en tant que testament international le testament du 17 avril 2002, après avoir constaté que [A] [L] l’avait dicté en présence d’une interprète en langue italienne, langue non comprise du notaire et des deux témoins, l’arrêt retient qu’en l’absence, à cette date, de disposition du droit interne prévoyant l’intervention d’un interprète, le défaut d’assermentation de l’interprète ayant assisté [A] [L] n’était pas de nature à affecter la validité du testament et que, si l’acte ne porte pas la mention formelle prévue à l’article 4, § 1, de la loi uniforme, il précise qu’il a été écrit à la machine à traitement de texte par le notaire, tel qu’il lui a été dicté par la testatrice et l’interprète, puis que le notaire l’a lu à celles-ci, lesquelles ont déclaré le bien comprendre et reconnaître qu’il exprime les volontés de la testatrice, le tout en présence simultanée et non interrompue des témoins, ce qui permet de s’assurer que [A] [L] a bien confirmé que le document était son testament et qu’elle en connaissait le contenu.

 

21. En statuant ainsi, alors qu’à la date du testament litigieux, aucune disposition légale ne permettait, tant en matière de testament international qu’en matière de testament authentique, de recourir à un interprète pour assister un testateur ne comprenant pas la langue du testament, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

 

Cour de cassation, Assemblée plénière, 17 janvier 2025, 23-18.823, Publié au bulletin

 

Auteur : Marie-Christine VINCENT-ALQUIE

Droit de la famille

SUCCESSION ET ASSURANCES VIE : L’INTERET DES HERITIERS NE CONSTITUE PAS UN CRITERE POUR L’APPRECIATION DU CARACTERE MANIFESTEMENT EXAGERE DES PRIMES VERSEES. Cour de cassation, Chambre civile 2, 19 décembre 2024, 23-19.110, Publié au bulletin

1.    LES FAITS ET LA PROCEDURE

 

[B] [G] est décédée à l’âge de 83 ans le 3 octobre 2019, laissant pour lui succéder sa fille unique, Mme [Y].

 

De son vivant [B] [G] avait souscrit, le 06 février 2009, un contrat d’assurance vie « Séquoia »« auprès de la SA Sogecap, en désignant comme bénéficiaire l’association Ligue nationale contre le cancer.

Au total, la somme de 274 800 euros a été versée par la défunte sur le contrat Séquoia entre 2009 et 2011.

 

A la date du décès de [B] [G], le montant total du capital-décès figurant au contrat s’élevait à 332.359,01 €.

 

Le 06 novembre 2019, la fille unique a écrit à la SA Société générale par le biais de son conseil aux fins de solliciter le blocage des fonds.

 

Cette dernière a indiqué qu’à défaut d’action judiciaire, elle procéderait au versement des fonds litigieux au profit de l’association Ligue nationale contre le cancer.

 

Par actes d’huissiers signifiés le 17 et 22 janvier 2020, Mme [Y] a assigné l’association Ligue contre le cancer, la SA Sogecap ainsi que la SA Société générale, devant la première chambre civile du tribunal judiciaire de Metz aux fins de voir réintégrer une partie des primes destinées à l’association dans la succession de sa défunte mère.

 

Mme [Y] se prévalait du caractère manifestement exagéré des primes versées tel qu’envisagé par l’article L. 132-13 alinéa 2 du code des assurances, et la Ligue contre le cancer défendait la position inverse.

 

Par jugement du 03 juin 2021, le tribunal judiciaire de Metz a :

 

Débouté Mme Y de sa demande de réduction des primes versées par la de cujus sur le contrat collectif d’assurance sur la vie « Séquoia  » de la société Sogecap formée à hauteur de 168 429,50 euros, de réintégration de primes pour ce même montant et d’injonction sollicitée à l’encontre des sociétés Sogecap et Société générale.

 

 

2.    L’INTERET DE L’HERITIERE PRISE EN COMPTE PAR LA COUR D’APPEL.

 

La COUR D’APPEL DE METZ 1ère chambre civile en son arrêt du 23 MAI 2023 infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré et donne raison à la fille unique,

Statuant à nouveau,

Ordonne la réduction des primes versées sur le contrat d’assurance-vie souscrit par la de cujus auprès de la SA Sogecap à hauteur de 130.000 €,

 

Ordonne la réintégration à sa succession de la somme de 130.000 €,

 

Enjoint la SA Sogecap de verser la somme de 130.000 € à la succession de [Z] [T].

 

Les motifs de la Cour d’appel étaient les suivants après analyse des pièces du dossier, ils méritent d’être retranscrits tant les faits évoqués se retrouvent dans de nombreuses liquidations successorales, en démontrant une volonté du souscripteur de contourner les règles de la dévolution successorale. :

 

Il résulte de ces éléments, d’une part que  [B] [G] avait par le passé disposé de placements diversifiés qu’elle a progressivement soldés pour rassembler la majeure partie de son patrimoine sur un unique contrat d’assurance-vie, et d’autre part que le versement sur ce contrat d’une dernière somme de 130.000 € a abouti à ce que ce que le total versé s’élève à 274.800 €, somme représentant 78,56 % du patrimoine total de [B] [G]  si l’on admet que son appartement avait encore à cette date une valeur de 75.000 € ce qui n’est nullement certain au regard de la somme à laquelle elle l’a revendu trois ans plus tard.

 

Dès lors, et quelle qu’ait pu être l’utilité d’un tel placement pour [B] [G], qui disposait par le passé d’une épargne répartie sur différents supports, le versement de la dernière prime de 130.000 €, en ce qu’elle aboutit à placer plus de 75 % du patrimoine sur un contrat d’assurance vie, apparaît manifestement exagéré au regard de la situation patrimoniale de celle-ci.

 

Ce dernier versement apparaît également manifestement exagéré au regard de la situation familiale de [B] [G] qui ne pouvait ignorer qu’en agissant de la sorte elle privait sa fille d’une part très importante de sa succession, excédant la réserve héréditaire. Cette conséquence est d’ailleurs en accord avec les termes du testament rédigé en 2019 par [B] [G], par lequel celle-ci instituait la Ligue contre le cancer comme légataire universel.

 

Il peut se déduire de ces diverses observations une volonté de contourner les règles de la dévolution successorale.

 

Enfin, et compte tenu d’un actif successoral total de (274.800 + 24.641,90 aux termes du projet de déclaration) = 299.441,90 €, il apparaît que la dernière prime versée a pour conséquence de priver sa fille de sa réserve héréditaire, qui se serait théoriquement élevée à 149.720,95€.

 

Il convient donc, eu égard au caractère manifestement exagéré de la dernière prime versée, d’ordonner la réduction des primes versées et la réintégration de la somme de 130.000 € dans la succession de [B] [G] .

 

L’association Ligue nationale contre le cancer a formé un pourvoi.

 

 

3.    rappel de la jurisprudence constante de la cour de cassation sur les critères du caractère manifestement exagéré des primes.

 

 

La Haute COUR casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 23 mai 2023, entre les parties par la cour d’appel de Metz au motifs qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui s’est fondée sur un critère étranger à l’appréciation du caractère manifestement exagéré des primes versées, a violé l’article L. 132-13 du code des assurances.

 

L’arrêt rappelle les critères du caractère manifestement exagéré des primes :

Selon ce texte, les primes versées par le souscripteur d’un contrat d’assurance sur la vie ne sont rapportables à la succession que si elles présentent un caractère manifestement exagéré eu égard aux facultés du souscripteur, un tel caractère s’appréciant au moment du versement, au regard de l’âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur ainsi que de l’utilité du contrat pour celui-ci.

 

L’intérêt des héritiers ne peut constituer un critère pour apprécier le caractère manifestement exagéré des primes comme le soutenait le pourvoi de la ligue contre le cancer : « que les règles du rapport à succession et celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers ne s’appliquent pas aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ; qu’un tel caractère s’apprécie au moment du versement, au regard de l’âge ainsi que des situations patrimoniale et familiale du souscripteur et de l’utilité du contrat pour ce dernier ; que l’intérêt des héritiers ne constitue pas un critère d’appréciation du caractère manifestement exagéré des primes ; qu’en ordonnant pourtant la réduction des primes versées sur le contrat d’assurance-vie de [B] [G] et la réintégration à sa succession de la somme de 130 000 euros, motif pris que le versement de cette somme apparaissait manifestement excessif au regard de la situation familiale de [B] [G] dès lors qu’elle ne pouvait ignorer qu’il aboutissait à exhéréder sa fille, la cour d’appel, qui a statué par un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 132-13 du code des assurances. »

 

Conclusion :

 

Pour assurer la protection de leur réserve légale les héritiers réservataires ne doivent donc pas soutenir l’atteinte à leur réserve comme critère du caractère manifestement exagéré des primes mais bien plutôt rechercher parmi les seuls critères de l’article L. 132-13 du code des assurances en se plaçant au jour du versement de la prime et non au jour du décès.

 

Auteur : Marie-Christine VINCENT-ALQUIE