Dans un arrêt du 12 juin 2025, la première chambre civile de la Cour de cassation a pris de soin de rappeler le caractère obligatoire de l’entretien individuel du Juge des enfants avec l’enfant mineur capable de discernement, dans le cadre d’une procédure d’assistance éducative.
Ce rappel est bienvenu dans le contexte d’un droit français qui veut renforcer la prise en considération de la parole de l’enfant dans les procédures de concernant.
En l’espèce, le juge des enfants a ordonné le placement d’un enfant auprès de l’Aide sociale à l’enfance et accordé un droit de visite médiatisé aux parents en lieu neutre.
La mère a fait appel de cet arrêt, contestant le placement et le droit de visite qui lui était accordé. Elle relevait alors qu’en tranchant ainsi, sans avoir entendu l’enfant ni même constaté son absence de discernement, la Cour d’appel a violé les articles 375 et 375-1 du Code civil ainsi que l’article 1189 du Code de procédure civile.
De manière pédagogue, la première chambre civile de la Cour de cassation prend le soin de rappeler les textes applicables à l’audition de l’enfant mineur dans le cadre d’une procédure d’assistance éducative, notamment :
- L’article 375-1 du code civil en ses alinéas 1 et 2, qui précise que le Juge des enfants doit s’efforcer de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure envisagée et se prononcer dans le strict intérêt de l’enfant ;
- Le même article, en son alinéa 3, qui dispose qu’il doit systématiquement effectuer un entretien individuel avec l’enfant capable de discernement lors de son audience ou de son audition ;
- Les articles 1182, 1184 et 1189 du Code de procédure civile qui posent l’obligation faite au Juge des enfants d’entendre l’enfant capable de discernement ;
- Plus précisément l’article 1189 dudit code qui précise que si le juge peut dispenser le mineur de se présenter à l’audience ou ordonner qu’il se retire pendant les débats, il doit néanmoins l’entendre.
La Cour de cassation déduit et rappelle ainsi clairement les principes applicables à l’audition de l’enfant capable de discernement dans le cadre de la procédure d’assistance éducative :
- D’abord, elle rappelle que la Cour d’appel a toujours la faculté d’entendre l’enfant si elle l’estime nécessaire ;
- Ensuite, elle précise qu’elle en a l’obligation si l’enfant, capable de discernement a, soit demandé à être entendu, soit n’a pas été entendu préalablement par le juge des enfants.
Elle prend également le soin de rappeler que l’audition de l’enfant mineur capable de discernement doit prendre la forme d’un entretien individuel.
Si ces précisions n’apportent que peu d’intérêt au cas d’espèce puisque les mesures prises par le juge des enfants ont épuisé leurs effets au moment où la première chambre civile s’est prononcée, elles viendront s’inscrire dans une démarche claire : celle de prendre en compte la parole de l’enfant mineur capable de discernement dans le cadre d’une procédure d’assistance éducative le concernant.
Auteur : Roxane VEYRE
La Cour de cassation, dans un arrêt du 12 juin 2025, apporte un rappel salutaire concernant l’indemnité d’occupation due dans le cadre d’une indivision post-communautaire entre époux divorcés. Cet arrêt, destiné à publication (n° 433 F-B), précise les conditions dans lesquelles l’un des ex-époux peut être tenu de verser une indemnité à l’indivision, et notamment la nécessité de caractériser une jouissance privative effective du bien indivis.
🧩 Contexte : divorce, indivision et usage du logement
En l’espèce, deux ex-époux, mariés sans contrat de mariage, sont engagés dans une procédure de liquidation de leur régime matrimonial après un divorce prononcé en 2018. Le logement, ancien domicile conjugal, était un bien commun. Par une ordonnance de non-conciliation de mai 2015, la jouissance du bien avait été attribuée à l’époux à titre onéreux.
Estimant que ce dernier continuait d’occuper le bien seul, la cour d’appel de Nancy, par arrêt du 1er septembre 2023, l’a condamné à verser une indemnité d’occupation de 500 € par mois, à compter de mai 2015 et jusqu’au jour du partage.
L’époux a saisi la Cour de cassation.
⚖️ Problématique juridique : à partir de quand une indemnité est-elle due dans l’indivision ? A partir de quand cesse-t-elle également ?
La question posée à la Cour de cassation était la suivante :
Un indivisaire est-il redevable d’une indemnité d’occupation jusqu’au jour du partage, même s’il a cessé d’occuper le bien avant cette date ?
Autrement dit, le simple fait que le partage ne soit pas encore intervenu suffit-il à maintenir l’indemnité d’occupation, ou faut-il une occupation effective et exclusive du bien ?
🧷 Solution de la Cour : nécessité de constater une jouissance privative
Par un attendu clair, la première chambre civile casse partiellement l’arrêt d’appel. Elle rappelle la règle posée par l’article 815-9, alinéa 2, du Code civil, selon laquelle :
« L’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité. »
La Cour reproche à la cour d’appel d’avoir condamné l’époux à une indemnité d’occupation jusqu’au partage sans vérifier s’il avait effectivement remis le bien à l’indivision comme il l’avait pourtant conclu.
Elle précise que l’indemnité cesse d’être due dès la remise effective du bien, indépendamment de la date de partage.
💡 Apport et portée pratique de l’arrêt
Cet arrêt illustre parfaitement l’équilibre que le juge doit opérer entre les intérêts des indivisaires et la rigueur des principes de l’indivision. Il est particulièrement pertinent en matière de divorce, où le partage du patrimoine commun intervient souvent longtemps après la séparation.
Pour les praticiens, plusieurs enseignements peuvent être tirés :
- L’indemnité d’occupation ne se présume pas : elle doit reposer sur une occupation privative avérée, ce qui suppose une analyse factuelle précise.
- La preuve de la remise du bien à l’indivision incombe à l’indivisaire occupant : remise des clés, état des lieux, déménagement, mise en location peuvent constituer des éléments utiles.
- Le point final de l’indemnité d’occupation n’est pas automatiquement le jour du partage, mais le jour de la restitution effective du bien à l’indivision.
🔗 À retenir pour les clients
Si vous êtes en cours de séparation ou de divorce, que vous avez occupé un bien en indivision à charge d’indemnité mais que vous quittez ce bien, il est essentiel de formaliser votre départ du logement pour éviter de devoir une indemnité jusqu’au partage.
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Auteur : Paul BLEIN
Aux termes de l’article 271 du Code civil, la prestation compensatoire est fixée en prenant en compte, entre autres, la situation respective des époux en matière de pension de retraite.
La jurisprudence a toujours confirmé de manière constante que les droits à la retraite constituent un critère déterminant pour l’octroi et le calcul de la prestation compensatoire.
C’est le sens d’un arrêt récent du 5 mars 2025, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation.
En l’espèce, la Cour d’appel de Chambéry avait refusé d’octroyer une prestation compensatoire à l’épouse, en estimant que les conditions de vie respectives des époux étaient semblables à la date à laquelle elle devait se prononcer.
Qu’ainsi, il n’existait pas, à l’instant T, de disparité créée par la rupture du mariage.
Pour aboutir au rejet des demandes de l’épouse, la Cour d’appel a considéré qu’une appréciation en deux temps devait être effectuée :
- Elle se devait d’abord d’apprécier s’il existe ou non une disparité entre les situations des époux au jour où elle statue ;
- Dans l’affirmative, elle procédait ensuite à une analyse des critères de l’article 271 du Code civil pour fixer le montant de la prestation compensatoire.
Elle distingue ainsi le moment de l’appréciation de la disparité entre les époux du stade de la fixation du montant de la prestation compensatoire.
Cette position, qui a vocation à faire prévaloir certains critères d’appréciation de l’article 271 du Code civil au détriment des autres, a été rejetée explicitement par la Cour de cassation.
Dans son arrêt du 5 mars 2025, la première chambre civile rappelle que les droits prévisibles à la retraite des époux doivent être pris en compte pour déterminer l’ouverture ou non d’un droit à prestation compensatoire.
Il ne s’agit nullement d’une appréciation qui doit intervenir secondairement. L’ensemble des critères d’appréciation listés à l’article 271 du Code civil doivent être pris en compte pour déterminer l’existence ou non d’une disparité entre les époux :
- La durée du mariage ;
- L’âge et l’état de santé des époux ;
- Les qualifications et situation professionnelle ;
- Le patrimoine estimé ou prévisible ;
- Les droits existants ou prévisibles et la retraite.
Chaque critère doit ainsi être analysé de façon exhaustive.
Cet arrêt n’est pas surprenant, il vient confirmer une jurisprudence constante selon laquelle le montant de la pension de retraite prévisible de chacun des époux est un élément déterminant que le juge aux affaires familiales doit prendre en compte (en ce sens, Cass. Civ. 1, 10 septembre 2015, n° 13-15.456).
Il est donc absolument primordial, lorsque l’un des époux a consenti des sacrifices professionnels qui impacteront ses droits à la retraite, de produire une estimation de ces droits pour prouver l’existence d’une disparité et appuyer une demande de prestation compensatoire.
Auteur : Roxane VEYRE
L’adoption plénière de l’enfant du conjoint, prévue par l’article 370-1-3 du Code civil [1], n’est possible que si l’enfant n’a de filiation établie qu’à l’égard de ce conjoint et qu’à condition qu’il y ait consenti. Le délai légal de rétractation de ce consentement est de deux mois aux termes de l’article 348-5 du même code.
Qu’en est-il lorsque la rétractation de ce consentement intervient postérieurement à l’expiration de ce délai bimensuel ?
En l’espèce, un couple de femmes se marie en septembre 2016. L’une d’elle donne naissance à un enfant en décembre de la même année.
Dans le courant de l’année 2019, les formalités nécessaires à la procédure d’adoption sont engagées. Le consentement de la mère biologique était recueilli par acte notarié le 3 juin 2019.
L’adoptante sollicitait ainsi le prononcé de l’adoption de l’enfant de son épouse le 3 septembre 2019.
Il semblerait qu’un désaccord soit intervenu au cours de l’été 2019, puisque la mère biologique s’est par la suite opposée à la demande d’adoption formulée par son épouse.
L’adoption a néanmoins été prononcée par le juge de première instance et confirmée en cause d’appel.
La mère biologique s’est alors pourvue en cassation, estimant que son opposition à l’adoption équivaut à une demande de restitution de l’enfant devant être accueillie de plein droit, même postérieurement au délai de rétractation, et sans que soit pris en compte l’intérêt de l’enfant.
La première chambre civile de la Cour de cassation adoptera une position claire et attendue en rejetant le pourvoi.
Dans un premier temps la Cour rappelle les bases légales applicables au cas d’espèce en précisant que les dispositions de l’article 348-3 du Code civil, relatives à la demande de restitution de l’enfant, ne trouvent pas à s’y appliquer.
En effet, la possibilité donnée aux parents de saisir le juge postérieurement au délai de deux mois pour demander la restitution d’un enfant suppose que l’enfant ait été confié à un tiers. En l’espèce, la première chambre civile distingue les deux situations et rappelle ainsi que le conjoint adoptant n’est pas un tiers comme les autres.
Dans un second temps, la Cour précise que « l’opposition du conjoint ne lie pas le juge » et que celui-ci doit se borner à vérifier que les conditions légales de l’adoption sont remplies et que cette dernière est conforme à l’intérêt de l’enfant.
Aussi, le juge du fond conserve toujours un pouvoir d’appréciation souverain, à la lumière de l’intérêt supérieur de l’enfant. Mais, classiquement, la seule mésentente conjugale n’est pas vouée à faire échec à une demande d’adoption.
Bien que confirmant sa position antérieure[2], la Cour de cassation vient ici rappeler en filigrane qu’un engagement parental doit être respecté au-delà des difficultés qu’un couple peut rencontrer.
[1] Dans sa rédaction antérieure applicable au cas d’espèce : article 345-1 du Code civil
[2] Cass, Civ.1, 12 juillet 2023, n° 21-23.242
Auteur : Roxane VEYRE
Créée par la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010, l’ordonnance de protection est un outil majeur à la disposition des Juges aux affaires familiales pour lutter efficacement contre les violences intrafamiliales et protéger les victimes.
La loi n° 2024-536 du 13 juin 2024 vient renforcer le dispositif de l’ordonnance de protection et créer une ordonnance de protection provisoire, toujours dans une volonté accrue de protection des victimes, très majoritairement de sexe féminin.
Cette loi a fait l’objet d’un décret d’application n° 2025-47 en date du 15 janvier 2025, qui vient concrétiser le renforcement de l’ordonnance de protection dite « classique » et surtout préciser la procédure relative à l’ordonnance de protection provisoire immédiate (ci-après « OPPI »).
1. Le renforcement de l’ordonnance de protection
Le texte de la loi du 13 juin 2024 venait renforcer le mécanisme de l’ordonnance de protection sur 4 points :
- En portant de 6 à 12 mois la durée de l’ordonnance de protection ;
- En rappelant qu’une ordonnance de protection peut être délivrée même en l’absence de cohabitation du couple ;
- En masquant l’adresse de la victime sur les listes électorales (jusqu’alors accessible à toute personne demandant ces listes) ;
- En accordant à la victime la garde des animaux de compagnie du foyer ; les animaux pouvant être un moyen de pression et de chantage.
Il convient également de préciser que la sanction répressive pour non-respect des obligations ou interdictions imposées par le juge dans sa décision est renforcée. La personne risque désormais 3 ans d’emprisonnement, contre 2 auparavant, et 45.000 € d’amende.
En outre, l’ordonnance devra désormais préciser que la personne en danger a la possibilité d’obtenir la reconnaissance transfrontalière de la décision (en application du règlement UE n° 606/2013).
2. Les précisions sur la procédure de l’OPPI.
Il est important de souligner que l’initiative de l’OPPI appartient uniquement au Procureur de la république. La victime n’a pas la possibilité de la demander directement. Cette impossibilité est regrettable dès lors qu’elle est mise en perspective avec la faible part de saisines émanant du ministère public (seulement 2%).
Le Juge ne peut être saisi qu’après accord de la personne en danger.
Il est saisi par voie de requête. Si le Procureur de la république est également à l’initiative de la requête en ordonnance de protection, deux requêtes distinctes doivent être faites.
Le régime procédural de l’OPPI diffère de celui de l’ordonnance de protection : alors que la seconde est soumise à un régime contradictoire, la première ne l’est pas.
A compter de sa saisine, le Juge aux affaires familiale doit rendre sa décision dans un délai de 24h. Ce délai très court explique l’absence de contradictoire et d’audience.
Un même juge peut statuer successivement sur l’OPPI et sur l’ordonnance de protection. Il faudra toutefois veiller à son impartialité.
Si le Juge refuse de faire droit à l’OPPI, la décision est notifiée au Ministère public ainsi qu’à la personne concernée. S’il y fait droit, elle est également notifiée à la personne à laquelle elle est opposée, par le biais des forces de sécurité intérieure.
Concernant les voies de recours :
- Si l’OPPI est refusée : la décision est insusceptible de recours ;
- Si l’OPPI est délivrée : seule la personne contre laquelle l’OPPI est délivrée dispose d’une voie de recours, par le biais d’une assignation en référé-rétractation de droit commun délivrée au bénéficiaire de l’OPPI.
Aucun délai n’est imposé à la juridiction saisie du recours. Elle peut examiner la demande avant ou concomitamment à l’examen de la demande d’ordonnance de protection.
Pour conclure, le décret d’application n° 2025-47 en date du 15 janvier 2025 précise les modalités de mise en œuvre de l’OPPI, qui sont claires dans leur principe.
Néanmoins, le fait que celle-ci soit à l’unique initiative du Ministère public laisse augurer une utilisation très marginale de cet outil. Il est regrettable que la victime n’ait aucune possibilité d’action, dans des situations d’urgence extrême la mettant directement en danger.
Auteur : Roxane VEYRE
- LA QUESTION DE LA VALIDITE D’UN TESTAMENT REDIGE DANS UNE LANGUE NON COMPRISE PAR LE TESTATEUR.
- SUCCESSION ET ASSURANCES VIE : L’INTERET DES HERITIERS NE CONSTITUE PAS UN CRITERE POUR L’APPRECIATION DU CARACTERE MANIFESTEMENT EXAGERE DES PRIMES VERSEES. Cour de cassation, Chambre civile 2, 19 décembre 2024, 23-19.110, Publié au bulletin
- Attribution d’un bien à titre de prestation compensatoire et pouvoir souverain des juges du fond (Cass. 1re civ., 20 nov. 2024, n° 22-19.154)
- Les revenus perçus par l’ex conjoint au titre des allocations familiales doivent-ils être pris en compte pour le calcul de la prestation compensatoire ? Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 11 septembre 2024, n° 22-16819