Dans le cadre du divorce en cause, une prestation compensatoire en capital a été fixée au montant de 265 650 €. L'arrêt attaqué avait ordonné que cette prestation soit exécutée par l'attribution à l’épouse d’un droit temporaire d'usage et d'habitation jusqu'au 6 juillet 2029 sur un bien immobilier appartenant en propre au mari.
L’épouse a formé un pourvoi contre cet arrêt, invoquant notamment que la modalité d'exécution choisie (l'attribution d’un droit temporaire d'usage et d'habitation) violait le caractère subsidiaire de cette option prévue par l'article 274, 2° du code civil.
La Cour de cassation rejette le pourvoi.
Cette décision confirme que l’attribution d’un droit d’usage ou d’habitation (ou de biens en propriété) à titre de prestation compensatoire n’est pas soumise aux mêmes conditions strictes lorsque le débiteur y consent explicitement. En présence d’un tel consentement, le juge bénéficie d’une plus grande latitude pour adopter la solution
En effet, si le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation qui impose que l’attribution forcée, constitutive d’une atteinte au droit de propriété, soit utilisée uniquement en cas de défaillance des modalités primaires (versement en capital ou garanties prévues à l'article 277), celle-ci n’était pas applicable en l’espèce en raison du consentement exprès de l’époux débiteur.
La solution retenue par la cour d'appel, validée par la Cour de cassation, semble concilier les intérêts des époux.
D’une part, l’épouse bénéficie d’une compensation matérielle équivalente au montant de la prestation compensatoire arrêtée par les juges du fond.
D’autre part, l’époux conserve une certaine maîtrise sur son patrimoine en évitant une sortie immédiate de liquidités.
Toutefois, bien que la solution semble équilibrée en théorie, elle pourrait être critiquée pour son impact pratique pour l’épouse. Un droit temporaire d’usage et d’habitation, bien qu’évaluable en capital, n’a pas le même caractère liquide qu’un versement en argent. Cette modalité d'exécution peut donc être perçue comme une limitation des droits de l’épouse à disposer librement de sa prestation compensatoire.
Cet arrêt confirme que les juges du fond disposent d'une marge de manœuvre significative pour déterminer les modalités d'exécution de la prestation compensatoire, à condition que ces modalités soient justifiées par les circonstances et adaptées au consentement des parties.
Auteur : Paul BLEIN
La Cour de cassation vient de rendre ce 11 septembre 2024 un arrêt portant une nouvelle fois sur la prestation compensatoire, et sur les revenus à prendre en compte, ou non, par les Juges du fond pour apprécier la disparité de l’article 270 du Code civil.
Suite au jugement de divorce prononcé par le tribunal en 2019, Mme [X] avait sollicité une prestation compensatoire.
Cependant, la Cour d'appel de Colmar, dans un arrêt rendu le 16 mars 2021, avait rejeté cette demande, estimant que les allocations perçues par Mme [X], telles que l'allocation de soutien familial, l'allocation pour enfant handicapé, et d'autres aides familiales, constituaient des ressources suffisantes.
Mme [X] a formé un pourvoi en cassation en invoquant la violation des articles 270 et 271 du Code civil.
Pour rappel, ces articles précisent que la prestation compensatoire doit être basée sur la disparité des conditions de vie entre les époux après la séparation, en tenant compte des ressources et besoins respectifs des parties. Il a ainsi été soutenu par devant la Cour de cassation que les allocations familiales perçues ne devaient pas être prises en compte dans l'évaluation de la prestation compensatoire, car elles sont destinées au bien-être des enfants et non aux revenus personnels d’un des époux.
La Cour de cassation a donné raison à Mme [X] en considérant que la Cour d'appel avait commis une erreur en prenant en compte ces allocations pour refuser la prestation compensatoire.
Selon la Haute juridiction, les allocations de la Caisse d'allocations familiales (CAF), en particulier celles pour enfant handicapé ou soutien familial, sont spécifiquement destinées aux enfants et non à l'époux recevant les prestations. Par conséquent, elles ne peuvent être considérées comme des ressources pouvant influer sur l’attribution d’une prestation compensatoire.
En cassant l’arrêt de la Cour d'appel de Colmar, la Cour de cassation rappelle l'importance d'évaluer les ressources personnelles de chaque époux sans inclure les allocations destinées aux enfants.
Cette décision marque une position ferme de la Cour de cassation quant à la délimitation des ressources prises en compte pour accorder une prestation compensatoire. En renvoyant l’affaire devant la Cour d’appel de Colmar, autrement composée, la Cour de cassation exige une nouvelle évaluation de la demande de Mme [X], en excluant les allocations familiales de cette appréciation.
Cette affaire n’est pas sans rappeler une précédente décision ayant déjà fait l’objet d’un commentaire par l’auteur (https://ava-avocats.fr/component/content/article/prestation-compensatoire-exclusion-des-sommes-versees-au-titre-du-devoir-de-secours?catid=19&Itemid=101), relative cette fois au sommes perçues au titre du devoir de secours.
Une fois n’est pas coutume, la Cour de cassation avait censuré la décision des Juges du fond et avait renvoyé l’affaire devant la même Cour, pointant ainsi la nécessité pour les Conseillers de la Cour d’appel de revoir leur copie.
Auteur : Paul BLEIN
Les successions constituent bien souvent l’occasion pour les familles de remettre en cause des cold cases, à savoir des cadeaux ou avantages réalisés du vivant du défunt, sur lesquels les héritiers non avantagés n’avaient alors pas leur mot à dire.
Cette remise en cause s’opère par le mécanisme des rapports à succession qui sont dus par les héritiers ayant été gratifiés du vivant du défunt.
Si la chose est claire et simple en présence de donations directes, elle est bien plus compliquée lorsqu’il s’agit de donations indirectes (ou déguisées).
Dans cet arrêt, il était remis en question l’occupation à bas prix d’un bien immobilier dont avait bénéficié un héritier pendant de nombreuses années.
Ses cohéritiers soutenaient qu’entre 2003 et 2015, cet hériter avait bénéfice d’une donation indirecte en occupant ce bien immobilier à un loyer inférieur au prix du marché.
La cour d’appel avait validé ce raisonnement et avait condamné l’héritier ainsi avantagé à rapporter à la succession une somme de 182.939,64 €.
La Cour de cassation casse partiellement l'arrêt de la cour d'appel, estimant que celle-ci a violé l'article 843 du Code civil, en rappelant que pour établir une libéralité, sujette à rapport, il convient de caractériser non seulement l’existence d’un appauvrissement du défunt, mais également son intention libérale avérée, c'est-à-dire la volonté de gratifier l'héritier.
La Cour de cassation critique l'approche de la cour d'appel qui avait fondé son raisonnement uniquement sur l'appauvrissement du défunt, résultant de la mise à disposition d’un appartement à un loyer inférieur au marché. Or, pour qu’un avantage consenti à un héritier soit qualifié de donation indirecte et donc rapportable à la succession, il est impératif de démontrer l’intention de gratifier, ce que la cour d'appel n’avait pas suffisamment établi.
L’une des contributions importantes de cet arrêt est de rappeler la distinction entre l'appauvrissement du disposant et l'intention libérale. En effet, un appauvrissement seul ne suffit pas à caractériser une donation, et donc une libéralité rapportable. Il faut prouver que le défunt avait l’intention de gratifier un héritier. La Cour rejette ici l'idée que l'appauvrissement puisse être automatiquement associé à une libéralité, même en présence d'un avantage financier non négligeable.
Cet arrêt a des conséquences pratiques importantes pour le règlement des successions :
- Il renforce la protection des héritiers en exigeant une preuve claire de l'intention de gratifier pour toute libéralité rapportable à la succession. Ainsi, un héritier ne pourra être tenu de rapporter un avantage dont il a bénéficié que si cette volonté est prouvée.
- Il impose aux juridictions de justifier précisément leurs décisions concernant la qualification d’une donation indirecte. Une simple présomption d'intention libérale tirée de l'appauvrissement ne suffit pas.
Cela renforce également la nécessité, pour les héritiers, le notaire chargé de la succession, ou les avocats de produire des éléments concrets attestant l'intention du défunt de gratifier un héritier (correspondances, conventions, etc.).
Cet arrêt contribue également à une réflexion plus large sur la notion de donation indirecte, laquelle implique qu’un avantage soit consenti de manière dissimulée. Ici, l’usage de l’appartement à un loyer inférieur au prix du marché pourrait sembler constituer une libéralité. Toutefois, la Cour exige une preuve supplémentaire de l'intention libérale. Cela signifie que, dans des situations similaires, un avantage financier ne sera pas toujours rapportable s’il n’y a pas une volonté claire et manifestée de la part du défunt.
Auteur : Paul BLEIN
Dans cette affaire, le père danois, M. [F], demande le retour de son fils au Danemark après que la mère ukrainienne, Mme [B], a déplacé l’enfant, dont il convient de préciser qu’il avait toujours vécu en Ukraine et jamais au Danemark, en France sans en informer le père.
L’apport principal de cet arrêt tient à la manière dont la Cour de cassation répond à une question d’importance : vers quel état le retour de l’enfant peut-il/doit-il être ordonné ?
En effet, on pourrait penser que par le terme « retour de l’enfant », il doive impérativement être envisagé que l’enfant ne puisse être déplacé à nouveau que vers l’Etat dans lequel il avait, jusqu’au déplacement illicite, sa résidence habituelle.
La Cour de préciser cette question de manière claire :
« La Convention [de La Haye du 25 octobre 1980] ne précise pas l'État à destination duquel le retour de l'enfant doit être ordonné.
Son préambule énonce que l'objet de la Convention est d'établir des procédures en vue de garantir le retour immédiat de l'enfant dans l'État de sa résidence habituelle.
Il ressort du rapport explicatif de la Convention que celle-ci tend, en considération primordiale de l'intérêt supérieur de l'enfant, au rétablissement de la situation antérieure, en ramenant l'enfant dans la zone d'influence des juridictions de sa résidence habituelle initiale, lesquelles ont, en cas de déplacement ou de non-retour illicite, vocation à conserver leur compétence pour statuer sur les modalités de l'exercice de l'autorité parentale.
Le principe est donc le retour de l'enfant dans l'État de sa résidence habituelle immédiatement avant le déplacement ou le non-retour illicite.
Toutefois, il ressort du même rapport que le silence de la Convention sur la désignation de l'Etat de retour résulte du souhait des négociateurs d'en éviter une application inutilement rigide, l'essentiel étant de protéger le droit des enfants à ne pas être écarté d'un certain milieu qui, parfois, sera fondamentalement familial, et de permettre ainsi aux autorités de l'État de refuge, lorsque le demandeur n'habite plus l'État de la résidence habituelle antérieure au déplacement, de lui renvoyer directement l'enfant sans égard au lieu de sa résidence actuelle.
Une telle interprétation est de nature à préserver, dans l'intérêt de l'enfant, les objectifs de protection de ses liens avec ses deux parents et de prévention des déplacements ou non-retours illicites, y compris dans des situations où aucun des parents n'habite plus dans l'État de la résidence habituelle initiale.
Il s'en déduit que le retour de l'enfant peut être demandé vers un État autre que celui dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicite, mais à titre exceptionnel.
Dans l'intérêt supérieur de l'enfant, un tel retour ne peut être ordonné que s'il permet de replacer l'enfant dans un environnement qui lui est familier et, ce faisant, de restaurer une certaine continuité de ses conditions d'existence et de développement. »
La Cour de cassation de valider très clairement la possibilité d’ordonner le retour de l’enfant dans un pays autre que celui où l’enfant avait sa résidence habituelle avant le déplacement illicite.
Si en l’espèce la Cour de cassation valide le raisonnement des Conseillers de la Cour d’appel de ne pas avoir ordonné le retour de l’enfant au Danemark, l’enfant n’y ayant jamais vécu et étant visiblement bien intégré dans son nouvel environnement auprès de sa mère avec laquelle il avait toujours vécu, c’est au regard de l’intérêt de l’enfant qui doit en tout état de cause prévaloir dans l’application de la convention de La Haye du 25 octobre 1980.
Auteur : Paul BLEIN
Créée par la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010, l’ordonnance de protection est un outil majeur à la disposition des Juges aux affaires familiales pour lutter efficacement contre les violences intrafamiliales et protéger les victimes.
On ne peut que saluer son appropriation croissante et son renforcement au fur et à mesure des années pour offrir une meilleure protection immédiate des victimes.
L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 23 mai 2024 s’inscrit dans ce renforcement et vient apporter une précision utile quant à l’aménagement des droits parentaux suite à la délivrance d’une telle ordonnance.
En l’espèce, une femme a saisi le Juge aux affaires familiales d’une demande d’ordonnance de protection à l’encontre de son conjoint, prétendument violent.
Le Juge aux affaires familiales a fait droit à cette demande, estimant que les deux conditions cumulatives de l’article 515-11 du Code civil étaient remplies, à savoir :
- La commission vraisemblable de faits de violence ;
- L’existence d’un danger actuel et probable pour la victime et/ou les enfants.
En conséquence, le Juge aux affaires familiales a fait interdiction au défendeur, non seulement d’entrer en contact avec la demanderesse, mais a également élargi cette interdiction de contact à l’enfant commun autrement qu’à l’occasion du droit de visite qui lui a été accordé.
Le Juge a en effet estimé que la protection de l’intégrité de la demanderesse justifiait l’élargissement de l’interdiction de contact à l’enfant commun.
Le défendeur relevait appel de ce jugement en ce qu’il ne justifie pas d’un quelconque danger propre à fonder l’interdiction de contact avec son enfant. La Cour d’appel confirmait cependant la décision de première instance.
Le défendeur formait un pourvoi en Cassation et arguait que l’ordonnance de protection visait à protéger la demanderesse et que l’existence d’un danger pour l’enfant n’était pas caractérisée. Qu’ainsi, rien ne justifiait une restriction si drastique de ses droits parentaux.
La Cour de cassation a pour autant confirmé l’arrêt de la Cour d’appel.
Elle adopte ainsi une position très claire : dès lors que les violences alléguées sont vraisemblables, tout comme le danger auquel est exposé la demanderesse, les juges du fond sont parfaitement fondés à élargir l’interdiction de contact aux enfants communs, sans pour autant se prononcer sur l’existence d’un danger encouru par ceux-ci.
Ainsi, la Cour de cassation vient renforcer la jurisprudence antérieure en précisant que le Juge aux affaires familiales peut, à la faveur de la délivrance d’une ordonnance de protection, restreindre les droits parentaux sans motivation particulière quant à l’existence d’un danger pour les enfants.
Cet arrêt s’inscrit dans une volonté accrue de protection des victimes de violences intra-familiales.
Non seulement, la restriction des droits parentaux dans le cadre d’une ordonnance de protection s’entend parfaitement pour la protection directe de la victime en ce qu’elle diminue les interactions entre les parents et donc les occasions de confrontation entre victime et agresseur.
Il n’est en effet pas rare, dans un contexte de violences intrafamiliales, que les enfants deviennent un moyen de pression à disposition de l’agresseur pour forcer le contact avec la victime.
En outre, il ne faut pas négliger le fait qu’un épisode de violence conjugale fait craindre une répétition de ces violences sur le ou les enfants du couple. Il convient donc de les en protéger.
La Cour de cassation a ainsi tranché, sans surprise, en faveur des victimes de violences intrafamiliales et a également rappelé le pouvoir souverain des juges du fond pour prendre les mesures adaptées à chaque cas d’espèce dans le cadre de la délivrance d’une ordonnance de protection.
L’on sait désormais que ces mesures peuvent inclure une restriction des droits parentaux, sans qu’il y ait la nécessité de constater un danger pour le/les enfant(s) commun(s).
Auteur : Roxane VEYRE
- Le renforcement de l’ordonnance de protection et la création de l’ordonnance provisoire de protection immédiate : la loi n° 2024-536 du 13 juin 2024
- Exercice du droit de reprise des époux : le caractère propre du bien jugé insuffisant - Cass. 1re civ., 2 mai 2024, n° 22-15.238
- Proposition de loi visant à établir un devoir de visite et d’hébergement : effet d’annonce ou réelle solution ?
- Parents et éducation : quelles punitions sont permises ou interdites ?