Quel impact de la réforme du droit des obligations sur la rémunération de l'agent immobilier ayant reçu mandat de gestion ?

C'est de nouveau au sujet d'un contentieux opposant des propriétaires immobiliers à leurs agents immobiliers, sur l'application jurisprudentielle de la loi du 2 janvier 1970 dite Loi « HOGUET », que la Cour de Cassation fait évoluer une jurisprudence constante et bien ancrée par la mise en œuvre de la réforme du droit des obligations issues de l'ordonnance du 10 février 2016.
Le premier arrêt, rendu par la Chambre mixte le 24 février 2017, concernait la validité d'un mandat donné à une agence immobilière pour faire délivrer un congé avec offre de vente.

Dans l'arrêt rendu par la première chambre civile le 20 septembre 2017, la Cour de Cassation devait examiner la validité d'un mandat formalisé entre une agence immobilière et un particulier, depuis décédé, alors que la relation s'était poursuivie pendant de nombreuses années par tacite reconduction avec les héritiers sans que ces derniers ne régularisent un nouveau mandat.

Après avoir mis un terme à la relation avec l'agent immobilier, les héritiers du mandant initial avait sollicité la restitution des honoraires au motif de la nullité du mandat qui n'avait pas été passé par écrit.

L'article 6 de la loi HOGUET prévoit que les conventions conclues sur les activités d'entremise et de gestion des immeubles et de fonds de commerce doivent être conclues par écrit  et  l'article 64 du décret du 20 juillet 1972, précise : 

"A moins que le titulaire de la carte professionnelle portant la mention " Gestion immobilière " représente la personne morale qu'il administre, notamment un syndicat de copropriétaires, une société ou une association, il doit détenir un mandat écrit qui précise l'étendue de ses pouvoirs et qui l'autorise expressément à recevoir des biens, sommes ou valeurs, à l'occasion de la gestion dont il est chargé."

Jusqu'alors les dispositions de la loi HOGUET étaient d'ordre public et le non-respect de cette prescription était sanctionné par une nullité absolue. Cette jurisprudence de la Cour de Cassation était constante.
  Comme cela est repris dans l’arrêt du 21/09/2017 :  Mais attendu que, selon les articles 1er et 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, dans leur rédaction issue de la loi n° 94-624 du 24 juillet 1994, applicable en la cause, les conventions conclues avec les personnes physiques ou morales qui, d'une manière habituelle, se livrent ou prêtent leur concours aux opérations portant sur les biens d'autrui et relatives, notamment, à la gestion immobilière, doivent être rédigées par écrit ; que, suivant l'article 64, alinéa 2, du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, le titulaire de la carte professionnelle " gestion immobilière " doit détenir, à moins qu'il ne représente la personne morale qu'il administre, un mandat écrit qui précise l'étendue de ses pouvoirs et qui l'autorise expressément à recevoir des biens, sommes ou valeurs, à l'occasion de la gestion dont il est chargé ; que la Cour de cassation jugeait jusqu'à présent que ces dispositions, qui sont d'ordre public, sont prescrites à peine de nullité absolue, excluant toute possibilité de confirmation du mandat comme de ratification ultérieure de la gestion (1re Civ., 22 mars 2012, pourvoi n° 15-20. 411, Bull. 2012, I, n° 72 ; 1re Civ., 2 décembre 2015, pourvoi n° 14-17. 211, en cours de publication) ; 


Désormais, il faut bien comprendre que ce changement est intervenu sans qu'il y ait eu de modifications de texte de la loi HOGUET, l’évolution du droit des obligations a changé le régime de cette loi. Ce ne sont pas les obligations des parties qui ont été modifiées mais le régime de sanction du non-respect des prescriptions de la loi susmentionnée.
  La Cour de Cassation dans cet arrêt extrêmement pédagogique explique son changement de jurisprudence : "Que, toutefois, l'évolution du droit des obligations résultant de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, d'après laquelle la nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l'intérêt général et relative lorsque cette règle a pour objet la sauvegarde d'un intérêt privé, a conduit la Cour de cassation à apprécier différemment l'objectif poursuivi par certaines des prescriptions formelles que doit respecter le mandat de l'agent immobilier et à décider que, lorsqu'elles visent la seule protection du mandant dans ses rapports avec le mandataire, leur méconnaissance est sanctionnée par une nullité relative (Ch. mixte, 24 février 2017, pourvoi n° 15-20. 411, en cours de publication) ; que, dans les rapports entre les parties au mandat, le non-respect de son formalisme légal, qui a pour objet la sauvegarde des intérêts privés du mandant, entraîne une nullité relative, laquelle peut être couverte par la ratification ultérieure des actes de gestion accomplis sans mandat ; 

L’arrêt est rendu au visa de l'article 1179 nouveau du Code Civil :
La nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l'intérêt général.
Elle est relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d'un intérêt privé. 

La Cour de Cassation considère que la gestion immobilière ne ressort pas d'intérêt général mais qu'il s'agit d'un intérêt privé et s'inscrit totalement dans l'esprit de la réforme qui en matière de nullité a adopté la théorie moderne (voir rapport publié au JO du 11 février 2016)

S'agissant désormais d'une nullité relative, et non plus d'une nullité absolue, la Cour a examiné si les parties n'avaient pas "renoncé" à la nullité en poursuivant la relation contractuelle. 

Il est donc possible de "couvrir" cette nullité relative et pour ce faire, la première Chambre utilise le nouvel article 1156 du Code Civil qui dispose :

"L'inopposabilité comme la nullité de l'acte ne peuvent plus être invoquées dès lors que le représenté l'a ratifié »

En l'espèce, la ratification est qualifiée par la première chambre civile qui relève que les ayants droit avaient poursuivi la relation avec le mandataire, sans émettre la moindre protestation sur la qualité des prestations fournies ou leurs conditions de rémunération, dont l'agent immobilier avait rendu compte de façon régulière et détaillée, et que le terme de la mission donnée sept ans plus tard respectait les formes et conditions stipulées dans les mandats écrits que l'agent immobilier leur avait expédiés pour signature.

Ce cumul d'éléments, a justifié la qualification de ratification et la Première chambre a pu rejeter la nullité qui était soutenue par les demandeurs au pourvoi.
  Cette évolution de la jurisprudence, si elle est favorable aux agents immobiliers, n’est pour autant pas dangereuse pour les propriétaires qui confient leurs biens en gestion, puisque l'analyse des conditions de ratification leur permet tout de même d'être protégés par la nullité relative s'ils n'avaient pas entendu valider le mandat.

 

 

Auteur : Nicolas Michelot
Cet article n'engage que son auteur.